Fairyland by Abbott Alysia

Auteur:Abbott, Alysia [Abbott, Alysia]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature américaine, Autobiographie, Biographie
ISBN: 9782211220798
Éditeur: Ecole des Loisirs
Publié: 2015-04-20T22:00:00+00:00

Un autre après-midi d’automne, en revenant de l’école, j’ai trouvé un nouveau mot sur la table :

Alysia,

Retrouve-moi chez Charlie : 1236 Cole, Appartement 4G.

Nous descendrons dîner en partant de chez lui.

Je t’aime,

Papa

C’était la première fois que j’allais chez Charlie, dans un appartement du quartier qu’il partageait avec deux autres gars. J’ai appuyé sur le bouton de l’interphone du 4G et la porte de l’immeuble s’est ouverte. En grimpant les quatre volées de marches, j’ai remarqué la moquette à motifs en cachemire rouge, bleu marine et or, et j’ai deviné à l’odeur moite de renfermé qu’elle dégageait qu’elle datait de la grande époque hippie. En arrivant au quatrième, j’ai réfléchi à la manière dont j’allais saluer papa. Mentalement, je n’ai cessé de me répéter : « La moquette laisse quelque peu à désirer », m’imaginant que papa serait amusé par cette formule un peu ampoulée. Le menton en avant, j’ai répété la formule je ne sais combien de fois dans ma tête, mettant l’accent sur différents mots pour voir l’effet que cela produisait : « La moquette laisse quelque peu à désirer », « La moquette laisse quelque peu… », de plus en plus convaincue de ma précocité. Je suis finalement arrivée au 4G, j’ai frappé, Charlie m’a ouvert la porte, et là, de manière théâtrale, j’ai crié à la cantonade : « La moquette laisse quelque peu à désirer ! »

Le visage de Charlie s’est décomposé.

« Steve, ta fille est arrivée. »

Je me suis tournée vers papa, qui m’a foudroyée du regard. Il s’est vite excusé auprès de Charlie et m’a demandé de le suivre dans le couloir, me tenant fermement le bras.

« Charlie a passé l’aspirateur dans les couloirs tout l’après-midi, m’a dit papa. Qu’est-ce qui t’a pris de débarquer comme une princesse, en faisant une réflexion sur la moquette ? »

Sidérée par la colère de mon père, je n’ai rien répondu. Lui qui appréciait tant ce genre de réplique dans Dynasty… Il aurait au moins pu apprécier ma tournure de phrase.

« C’était juste pour rigoler.

– Eh bien, ce n’était pas rigolo. Il faut toujours que tu te montres antipathique avec Charlie, a continué mon père, alors que tu sais à quel point il compte pour moi. »

Sauf que je ne savais pas à quel point il comptait pour lui. Comment l’aurais-je su ? Il allait me falloir des années pour voir en mon père autre chose qu’une source d’amour dévoué, d’attention et d’argent qui, estimais-je, m’était dû. Mon raisonnement était à peu près le suivant : puisque maman était morte, papa était obligé de compenser son absence en m’offrant deux fois plus d’amour et deux fois plus de soutien qu’il l’aurait fait normalement. Cela me semblait parfaitement logique. Charlie ne l’entendait pas de cette oreille.

Mais voilà que papa exigeait que je le considère comme une personne indépendante, un adulte en quête du réconfort d’une relation amoureuse. C’est longtemps après sa mort, en étudiant son journal, que j’ai compris ce que Charlie représentait pour papa. Que Charlie le rendait heureux.

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